Terrain et contexte
La ville des Lilas, lieu de violences sporadiques mais extrêmes
Le choix du terrain nécessitait l’accord de la préfecture de police de Paris et du directeur territorial de la sécurité de proximité concerné afin de pouvoir dialoguer avec les acteurs locaux. Il s’est finalement porté sur la commune des Lilas et s’est étendu à la commune de Romainville.
Le dialogue a débuté avec le maire adjoint chargé de la tranquillité publique des Lilas qui s’est déclaré intéressé par l’étude pilotée par les chercheurs du CNAM et de l’UTT accompagné par deux designers de l’agence de design Vraiment Vraiment, dans la logique de la démarche de recherche intervention par le Co-design (Zacklad & Catoir-Brisson, 2021).
Le maire adjoint a orienté l’équipe vers le pôle jeunesse, sa directrice et la coordinatrice du CSLPDR, elle-même rattachée à ce pôle. Après une rencontre avec les éducateurs, la directrice du pôle jeunesse a ensuite confié le suivi direct de l’étude au service jeunesse localisé au centre culturel Louise Michel au sein du quartier des Sentes.
Les premières réunions de co- design ont eu lieu avec les membres du service jeunesse des Lilas, son responsable et ses trois animateurs, rejoints par le responsable jeunesse du centre Marcel Cerdan de Romainville pour représenter le quartier Gagarine.
La ville des Lilas se situe dans l’est parisien, dans le département de la Seine-Saint-Denis. Elle est limitrophe de Paris, Bagnolet, Romainville, le pré-Saint Gervais, Pantin. La ville a été le théâtre de plusieurs rixes mortelles ces dernières années faisant 5 victimes entre 2016 et 2021. Des tensions et des violences fortes, voire mortelles, se déclenchent dans certains quartiers et plus particulièrement dans le quartier des Sentes. Ce quartier partage ses frontières avec la ville de Romainville et plus spécifiquement avec le quartier Gagarine. Une simple rue sépare ces deux territoires qui connaissent nombre de tensions et de violences. C’est spécifiquement avec ces deux quartiers que nous travaillons.
En 2016 le quartier des Sentes a été endeuillé avec la mort de Richard, jeune homme de 26 ans habitant du quartier qui est décédé en s’interposant dans une rixe. Ensuite, quasiment chaque année, une rixe mortelle est survenue près de ce quartier.
État des lieux
Afin d’établir un état des lieux de la situation aux Lilas, des interviews semi-dirigées ont été menées avec les personnes sollicitées, le commissaire de circonscription, le responsable jeunesse, les animateurs et l’un des éducateurs spécialisés de la ville qui travaille in situ dans le quartier des Sentes. A l’issue de ces entretiens, il apparaît que ces violences :
- s’inscrivent pour partie dans des rivalités territoriales mal comprises entre villes et quartiers, où s’entremêle griefs parfois futiles et “légendes urbaines” liées à des exactions anciennes ;
- sont le fait d’adolescents, souvent mineurs, qui n’ont pas d’antécédents judiciaires marquants ;
impliquent des armes blanches, des couteaux, dont l’usage mal maîtrisé a des conséquences fatales ;
- sont souvent liées à des conflits amplifiés par les réseaux sociaux fréquentés uniquement par les jeunes et à des rendez-vous donnés sur ces réseaux, ce qui rend particulièrement complexe la prévention à court terme car les adultes et les membres des services de police et de prévention n’ont pas accès aux signes avant-coureurs qui permettraient de tenter une médiation ou une interposition.
Un contexte de lutte de territoire et de violence rituelle
Si la plupart des acteurs interrogés évoquent un contexte de lutte de territoire et de violence rituelles caractéristiques de certaines trajectoires adolescentes chez les garçons, tous expriment leur désarroi vis-à-vis des conséquences mortelles totalement disproportionnées de ces évènements, ce qui explique la mobilisation de plusieurs acteurs.
Si la plupart des acteurs interrogés évoquent un contexte de lutte de territoire et de violence rituelles caractéristiques de certaines trajectoires adolescentes chez les garçons, tous expriment leur désarroi vis-à-vis des conséquences mortelles totalement disproportionnées de ces évènements, ce qui explique la mobilisation de plusieurs acteurs.
Les acteurs et dispositifs mis en place pour lutter contre les violences
Le commissariat de circonscription
La ville des Lilas, le commissariat de circonscription et certaines associations mettent des dispositifs de prévention en œuvre depuis plusieurs années afin de lutter contre les violences.
Le commissariat des Lilas couvre à lui seul une circonscription de près de 106 000 habitants incluant les communes des Lilas (23 000), de Bagnolet (36 000), du Pré Saint-Gervais (17 000) et de Romainville (30 000). Face à la très forte émotion des jeunes, des parents d’élèves et des habitants provoquée par les rixes, et notamment celle de 2019 ayant impliqué des lycéens se rendant à leur cours de gymnastique avec leur professeur au stade des Lilas, à proximité immédiate du collège, le commissaire des Lilas a entrepris, en lien avec les municipalités et l’Éducation Nationale, une démarche volontariste de communication dialogique. Il intervient ainsi dans toutes les classes de CM2 et du collège des communes des Lilas et de Romainville, accompagné aux Lilas par la coordinatrice du CLSPDR.
Le commissaire de circonscription est très présent dans les écoles
Ces interventions ont pour objectif de recueillir et d’éclairer les représentations que se font les élèves des forces de police, mais surtout de les informer et de les sensibiliser sur leurs droits et devoirs face à la violence, le harcèlement, le port d’armes et la légitime défense. Elles ont également pour objet de décrire les chaînes de conséquences malheureuses qui peuvent conduire à des drames et plus généralement de créer du lien avec les collégiens.
Les acteurs de la mairie des Lilas
Face à la forte émotion suscitée par ces rixes et leurs conséquences, les municipalités, et particulièrement celle des Lilas, ne sont pas restées inactives.
Dans cette ville, plusieurs initiatives importantes ont eu lieu : par exemple, la création d’un CLSPDR avec une responsable à temps plein, le recrutement au sein du pôle jeunesse de trois éducateurs spécialisés travaillant avec les jeunes en décrochage, l’organisation par le service jeunesse de sorties réunissant les jeunes des deux quartiers rivaux, etc.
La figure ci-dessous présente le bilan des actions de prévention telles qu’elles ont été recensées dans le journal municipal Infos-Lilas n°225, de Juillet-Août 2022.
Les Lilas, une ville qui mise sur des dispositifs multiples pour la prévention de la violence
• La police municipale
La police municipale fait régulièrement des rondes dans le quartier des Sentes. Celles- ci sont bien tolérées, même s’il n’y a pas de communication directe entre les jeunes et les agents. La ville est dotée d’un système de vidéosurveillance qui permet d’observer les attroupements sur la voie publique et d’intervenir le cas échéant
• Le CLSPDR
Le CLSPDR, qui bénéficie d’une responsable à temps plein, assure la coordination entre tous les services municipaux chargés de la prévention mais également avec d’autres institutions telles que la police et l’éducation nationale. Sa responsable est également en relation avec ses homologues des autres municipalités.
Situé en centre-ville, le Kiosque est un “lieu d’information, d’écoute et d’orientation destiné aux jeunes et à leurs familles”. Il regroupe un bureau d’information jeunesse (espace de documentation, mise en relation jeunes-parents pour du baby-sitting, etc.), un lieu d’écoute jeunes et familles avec une psychologue, une mission locale et un espace multimédia.
• Le service de prévention spécialisé
Le service de prévention spécialisé dispose de trois éducateurs municipaux, spécialisés en prévention qui proposent pour les jeunes de 11 à 25 ans, en décrochage scolaire ou non, un suivi personnalisé (orientation scolaire, recherche d’emploi, …). Les éducateurs vont à la rencontre des jeunes lors de leurs rondes quotidiennes dans le quartier des Sentes. Ils peuvent ainsi créer et garder le lien avec les jeunes et tenter de confirmer ou infirmer les rumeurs lorsqu’ils sont avertis de possibles conflits.
• Le Service Jeunesse
Le Service Jeunesse dispose d’un lieu d’accueil dans le quartier des Sentes, l’espace Louise Michel (cf. Fig. 1). Les activités proposées vont de la halte jeux à l’accompagnement à la scolarité en passant par des ateliers éducatifs, des sorties au musée, des séjours inter villes, etc. En particulier, ce service a récemment organisé des séjours entre des jeunes des quartiers rivaux des Lilas et de Romainville pour pacifier les relations. Le service se déplace et travaille également au collège et à la maternité. C’est dans une salle d’activités de l’espace Louise Michel que se sont tenues les sessions de co-design.
LES AUTRES ACTEURS
Il existe d’autres d’acteurs importants impliqués dans les actions de prévention, que nous n’avons pas rencontrés, et notamment : l’Éducation Nationale, le proviseur du lycée et le directeur du collège, qui collaborent avec la municipalité et le département au sujet des jeunes déscolarisés ou primo-délinquants via le CLSPDR, les assistantes sociales du département sont également impliquées dans le suivi de ces jeunes et de leurs familles en collaboration avec l’Éducation Nationale et la ville. Enfin, il existe de nombreux acteurs associatifs qui sont en lien étroit avec la municipalité, comme le club de football, le FC Les Lilas, ou des associations d’habitants des quartiers plus ou moins actives comme « Ose les Lilas » ou « Mieux Vivre au Quartier des Sentes ». Enfin les bailleurs sociaux sont également présents et en lien direct avec le CLSPDR et la municipalité pour évoquer notamment l’occupation des halls d’immeubles.
Tous ces acteurs sont en contact via des boucles de partage d’informations. Ils utilisent différents médias tels que les mails, les messageries comme whatsapp, les sms, ou simplement le téléphone.