COMMUNICATION PREVENTION RIXE

Dispositif communicationnel

LES DISPOSITIFS DE COMMUNICATION
COLLABORATIVE PROPOSÉS

En s’appuyant sur les entretiens réalisés par les chercheurs, l’équipe de designers a présenté une dizaine de dispositifs de prévention relevant de la communication collaborative. Dans toutes ces propositions, le principe était d’impliquer les acteurs, jeunes et habitants dans l’élaboration du dispositif de communication au lieu que celui-ci soit conçu de façon monologique puis diffusé dans une logique persuasive que nous considérons comme étant moins efficace sur le long terme. Le tableau 1 présente quatre dispositifs assez différents dans leurs modalités parmi les 16 proposés par les designers. Nous les présentons selon les trois facettes de la performance des transactions : création d’un artefact original, subjectivation et territorialisation.

Bien que les trois dimensions soient toujours présentes, la dimension de la subjectivation, qui doit rendre possible un vivre ensemble sans violence est prédominante dans notre contexte, qu’elle passe par l’appropriation pacifique des lieux ou par le développement d’une représentation mutuelle moins conflictuelle des acteurs mettant en avant les points communs plutôt que les différences.

CHACUNE DES PROPOSITIONS SÉLECTIONNÉES MET EN AVANT :

Les lieux acteurs

  • La cartographie du risque
  • La Marp
  • Le design fiction

Collégiens, lycéens et habitants du quartier se constituant en communauté d’habitants de la zone sensible.

La cartographie du risque permet de réaliser une cartographie des actions de réconciliation, la Marp (Méthode Accélérée de Recherche Participative) permettra une discussion,  un dialogue entre les participants et une mutation de  la nature des lieux. Le desing fiction permet lui, une projection idéale et  la mise en place d’actions afin de se rapprocher de cette projection.

Les représentations conditionnent les comportements

  • La production de portraits croisés
  • Le collaboratif, vecteur de cohésion, sur un chantier ou dans la production d’une fresque

Collégiens et lycéens s’identifiant mieux les uns aux autres et se constituant une identité commune de “jeune”.

Les jeunes en produisant les représentations croisées mettront en évidence les biais et décalages de perception qu’ils ont de chacun. Ces distorsions peuvent être estompées grâce au dialogue.
Le chantier collaboratif ou la fresque permettent un dialogue, de créer un nouvel espace commun co-construit de conversation, situé sur un territoire donné.

L’usage des réseaux sociaux, amplificateur des violences

  • Le tribunal du Troll
  • Le parcours d’expérience du troll

Les collégiens et lycéens s’identifiant à travers l’usage des RSN à une communauté de pratique responsable.

Le tribunal du troll permet d’identifier certains messages, de comprendre leurs différentes perceptions et de les requestionnés.  Il permet également d’avoir une conversation sur ce qui est juridiquement ou/et moralement admissible, quelles sont les actions condamnables et quel est la sanction à mettre en place.
Le parcours utilisateur du troll permet, lui, de mettre en exergue l’émergence des phénomènes de violences ainsi que leur amplification et de proposer des solutions pour endiguer le phénomène.

La pression du groupe à ne pas sortir de la dynamique

  • La collecte de récits
  • Un plateau radio temporaire

Publics jeunes s’identifiant à la douleur des proches en communauté mémorielle transcendant les clivages.


La collecte des récits permet à chacun, impliqué ou proche de violences de raconter son expérience, son ressenti et d’exprimer des solutions.

La violence chez les jeunes : un sujet institutionnel / d’adultes

  • Le tribunal inversé

Les jeunes et les adultes s’identifient réciproquement pour mieux se réapproprier leurs propres rôles.

Le tribunal inversé permet d’identifier les perceptions et rôles de chacun. Cette réflexion peut engendrer un changement de posture.

Des rites de passage aux valeurs néfastes.

  • La fury room

Les collégiens et lycéens testent leurs limites et transforme la transgression

La Fury Room propose un exutoire et  permet de construire une réflexion sur  les possibilités de libérer sa colère d’autres manières que par la violence.

 

LE DISPOSITIF “RÉCITS DES PROCHES” ÉLABORÉ À L’ISSU DE LA PHASE DE SÉLECTION

Bien qu’intéressés par de nombreuses propositions faites par l’équipe de designers, les membres du service jeunesse ont favorisé la proposition basée sur la collecte de récits. En effet, celle-ci leur semblait être l’une des plus faciles à déployer étant donné les contraintes de temps et de budget, mais aussi l’une des plus facilement appropriable par l’équipe.
Ils n’excluaient cependant pas la mise en œuvre d’autres propositions dans le cas où le projet se prolongerait.
Contrairement à la plupart des autres propositions qui mettaient directement en présence les jeunes des quartiers, souvent dans une logique de transmédiation articulant session en présentiel, documentation des sessions et diffusion de celles-ci, cette proposition mettait en relation les témoignages des proches des victimes avec les jeunes et les habitants par l’intermédiaire de récits ayant une portée mémorielle et sensible. 

Ainsi, au niveau de la transaction secondaire, le commanditaire principal devient la direction du service municipal concerné (service jeunesse) avec, en son sein, le CLSPD, les autres commanditaires de la transaction principale, élus et préfecture de police, étant toujours présents, mais de manière plus éloignée. Dans la démarche de co-design, les membres du service jeunesse sont susceptibles de devenir également des entrepreneurs de la démarche qu’ils ont sélectionnée. Les réalisateurs des actions de prévention, encore projetés à ce stade, sont les proches des victimes, qui co-élaborent les récits via les dispositifs de capture de la parole avec les chercheurs, les designers et les membres du service de prévention. Enfin, les bénéficiaires sont la catégorie de jeunes identifiés comme étant la cible principale de l’action de prévention (cf. infra) et de manière plus large l’ensemble des habitants des communes concernées.

PRÉSENTATION DU DISPOSITIF DE “RÉCIT DES PROCHES”
SÉLECTION, MODÉLISATION, PROTOTYPAGE ET EXPÉRIMENTATION

Pour la conception amont du dispositif “récit des proches”, les designers ont souhaité exposer toutes les options possibles lors de la troisième session de travail. Ils ont séparé plusieurs questions : celle de la sélection des bénéficiaires des récits, des auteurs, du dispositif de recueil, du dispositif de diffusion.

Les bénéficiaires des récits

Les bénéficiaires des récits – en s’appuyant sur les échanges avec les services en charge de la prévention et la police, quatre types de profil ont été mis en évidence (cf. Figure ci-dessous) : les collégiens “innocents”, les jeunes en bascule (3ᵉ / 2ᵈᵉ), les jeunes campés dans des postures hostiles et les jeunes adultes ayant pris du recul.

Les réalisateurs des récits

Les réalisateurs des récits – de nombreuses options sont possibles, allant de récits d’autres jeunes victimes ou non, les mères des victimes ou des auteurs, les jeunes filles proches des victimes ou des auteurs, les petits frères, les voisins, les agents de sécurité, les grands frères, les enseignants…

Le dispositif de recueil des récits

Le dispositif de recueil des récits – celui-ci inclut les consignes visant à induire le récit et la situation de recueil. Des exemples de consigne seraient : “Qu’est-ce qu’on ne lui a pas dit ?”, “Qu’est-ce qu’il n’a pas entendu ?”, etc. Pour la situation de recueil, de nombreuses options sont possibles : la simulation d’une émission de radio, un interview de type journalistique, une discussion de groupe, un fil Whatsapp, lors d’un événement local type fête de quartier, via un dispositif mobile d’entretien, etc.

Les dispositifs de diffusion des récits

Les dispositifs de diffusion des récits – ici aussi de nombreuses options sont possibles qui dépendent également des moyens mis en œuvre – imprimé, affichage urbain, fil Whatsapp, etc. Comme le souligne Annie Gentès, « le choix du médium est à la fois formel et communicationnel », contribuant « à assigner des rôles, des statuts, des amplitudes, des distances, des légitimités du partage » (Gentès, 2022). 

À l’issue de la troisième session, les participants ont confirmé les propositions des designers en ce qui concerne les bénéficiaires (collégiens innocents et jeunes en bascule) et les réalisateurs des récits (proches des victimes, mères, amies, grands frères …).

Atelier collaboratif pour décider du mode diffusion du recueil de la parole
Atelier collaboratif pour décider du mode diffusion du recueil de la parole

LE RECUEIL DE LA PAROLE

Début 2023, une nouvelle session de co-design a eu lieu afin de définir les dispositifs de recueil et de diffusion de la parole. Il a été décidé que les recueils de la parole seraient effectués via des entretiens individuels. Les services jeunesse des Lilas et de Romainville ayant identifié des personnes à interviewer, les chercheurs du Cnam ont dirigé ces entretiens. Les profils des habitants qui ont participé à ces entretiens étaient diverses : parents de victime, maman d’un enfant impliqué dans une rixe mortelle et présumé coupable, maman ancienne animatrice jeunesse aux Lilas, maman d’un enfant présent lors d’une rixe et ami d’un présumé coupable, habitante commerçante à la jonction des quartiers des Sentes et de Gagarine, jeunes impliqués dans des violences, mais qui depuis ont pris du recul. 
Les entretiens semi-dirigés, laissant une part importante à une conversation libre, ont duré une heure environ.

De ces entretiens ont été extraits des verbatims, de grands thèmes ont ainsi émergé.  Les verbatims ont été également classifiés comme suit par les designers : 

  • éclairant, offre un autre regard,
  • expose juste de la tension sans offrir de voie de résolution,
  • état de fait.

Une sélection plus restreinte a ensuite été présentée lors d’une session de travail collectif avec les équipes. Chacun devait voter. Cet exercice a été réitéré avec une dizaine d’enfants lors d’un atelier mené par le service jeunesse des Lilas. 

Les consignes de vote étaient suivantes  :  

  • 2 post-it de couleur verte  afin de sélectionner les verbatims utilisés pour créer l’affiche et noter vers quel type d’actions cela peut amener
  • 1 post-it rose pour supprimer 1 verbatim de la sélection
  • 3 post-it bleu maximum pour, dans un second temps, affiner la sélection.

Le mode de diffusion des affiches a également été choisi collaborativement lors de cette session de travail. L’affichage urbain a été la proposition plébiscitée par quasi tous les participants. Un affichage en grand format dans les villes des Lilas et Romainville sera coordonné par les équipes projets des deux mairies. Les lieux exacts seront déterminés  par les acteurs des mairies. Un set d’affiches en format A3 est également prévu afin d’être présenté lors d’évènements comme l’inauguration du nouveau centre social de Romainville ou encore lors d’évènements de quartier.
L’affichage urbain permet d’élargir le public touché.

Suite à cette session et à l’atelier animé par le service jeunesse, une réflexion de l’équipe de recherche et des designers a permis de mettre en exergue le caractère  trop incriminant ou culpabilisant  des verbatims des adultes. Ces messages pouvaient présenter un biais de confirmation. Ces entretiens et les verbatims des adultes pourront servir à concevoir un jeu de cartes à réaction que les acteurs des mairies pourront utiliser dans des contextes plus confidentiels afin de provoquer des conversations avec les habitants, les adolescents, les enfants des quartiers des Sentes et de Gagarine.

Un nouveau protocole de recueil de la parole a alors été proposé par les designers. 

Un nouveau protocole de recueil de la parole des jeunes

Le nouveau protocole de recueil de la parole a consisté en l’élaboration et l’animation d’un  atelier avec des enfants de Romainville et des Lilas afin que ces derniers créent eux-mêmes les messages figurant sur les affiches. Une douzaine d’enfants âgés entre 8 et 14 ans ont ainsi participé à l’atelier. Des groupes de trois ou quatre enfants ont été formés naturellement. Chaque groupe était accompagné par un adulte.

“Demain,
j’aimerais…”

Cette session de travail s’est déroulée en trois temps. 

La première partie de l’atelier a été consacrée à
cartographier une situation de violence : soit vécue par l’enfant, soit dont il a eu connaissance. Ce travail lui a permis ensuite d’analyser son parcours dans cette expérience, de définir comment la situation aurait pu être évitée ou stoppée avant de dégénérer, qui aurait pu être prévenu, intervenir… Afin de cartographier les violences, une maquette a été mise à disposition des participants. Les principaux lieux identifiés comme lieux de violence étaient : l’immeuble, le City, le collège, le lycée. Les participants avaient la possibilité d’ajouter d’autres lieux selon leur expérience.

Dans un deuxième temps, les enfants ont pu travailler sur les messages des affiches, en complétant la phrase “Demain, j’aimerais …”. Différents formats de papier (A5, A4, A3) ont été proposés afin que chacun se sente à l’aise dans sa créativité. 

Cartographie des violences
Session de créativité avec les enfants des Lilas et de Romainville
Session de créativité avec les enfants des Lilas et de Romainville

Le troisième temps a été consacré à la prise de vue des affiches en extérieur afin de permettre la conception de l’artefact en lui-même. La présence d’éléments du corps humain comme des mains, sur la photo permet de d’incarner l’image. L’extérieur permet lui, de situer le message sur un territoire.

Prise de vue à Romainville
Prise de vue à Romainville
Prise de vue à Romainville
Prise de vue à Romainville

Des affiches dans la ville

Suite au travail effectué avec les enfants des Lilas et de Romainville,  ainsi qu’avec une maman des Lilas, les affiches ont été  classifiées selon la capacité à ouvrir le dialogue, la corrélation à notre thématique, la capacité à agir sur le fond du propos et sur la qualité de syntaxe des messages. 

3 catégories sont proposées : 

  • Les “plus percutants”
  • Des “moins percutants”
  • Des “moins à propos”

Sept affiches aux messages les plus percutants et pertinents ont été sélectionnées afin d’être retravaillées par le designer graphique de l’agence Vraiment Vraiment et ainsi, via l’affichage urbain devenir les artefacts médiateurs. Les affiches seront exposées en deux séries de quatre permettant une contextualisation plus forte dans l’espace. L’affiche “Demain, j’aimerais la solidarité entre cités”  mettant particulièrement en lien les villes des Lilas et de Romainville sera l’élément récurrent à ces deux séries.

Les affiches sélectionnées

Les lieux d’affichage dans les villes ont été décidés collectivement par les différents services municipaux impliqués des deux villes. Des équipes projet ont été également été créées afin de coordonner l’affichage sur les deux territoires.

Ces mêmes affiches en plus petits formats seront exposées et utilisées lors d’évènements. 

Certaines affiches, non sélectionnées pour l’affichage urbain, car le message est moins pertinent quant au sujet des violences et des rixes, seront mises à disposition des équipes municipales pour être utilisées comme artefacts médiateurs dans d’autres contextes, sous forme d’affiches, de cartes.

Simulation d’affichage urbain
Simulation d’affichage urbain

Les autres affiches, artefacts de médiation pour différents sujets

Un projet sur le long terme

Le projet de recherche mené en collaboration avec les designers et les équipes du service jeunesse des Lilas et de Romainville a vocation à perdurer par le travail futur des équipes municipales. Les différents éléments mis à disposition des équipes ainsi que l’appropriation des méthodes de travail collaboratives doivent permettre une utilisation et une amélioration des matériaux sur le long terme afin d’obtenir des changements de comportements et une baisse des violences et rixes.

Dans un premier temps,   la constitution des équipes projets  des deux mairies permettra de coordonner les affichages urbains et d’organiser des évènements concernant les deux villes. Une première exposition proposant les affiches, un parcours entre les 2 villes,  devrait voir le jour début 2024 : “Demain j’aimerais, une réflexion intercommunale sur les rixes.”